26 mai 2009
La fille du bain ...
Elle devait avoir 8 ans. Elle
était encore petite. Elle portait encore des couettes hautes attachées
avec des rubans turquoise. Elle laissait encore sa mère l’habiller avec
des robes et des chaussures vernies. Elle marchait encore en sautant
d’un pied sur l’autre pour voir ses belles boucles brunes se soulever
puis retomber sur ses épaules dans un gracieux mouvement. Elle s’était
encore perdue. Elle pouvait encore rentrer, sans peur, dans une bâtisse
aux volets cassés, au jardin infesté de mauvaises herbes, au portail
rouillé. Mais surtout. Elle ne la connaissait pas encore. Il pleuvait à
torrent et sa seule inquiétude était destinée à sa robe et à la colère
de sa maman. Elle se précipita sous le porche de cette imposante
maison. Elle avait froid. Elle avait faim. Elle s’empara de la poignée
en argent et la tourna. La porte s’ouvrit à son grand soulagement. Il y
avait forcement quelqu’un, un adulte, puisque sa maman lui disait
toujours de s’enfermer quand elle partait faire des courses. Il y avait
donc une grande personne qui pourrait lui donner une serviette et un
goûter. Elle pénétra dans un hall démesurément grand. La pièce était si
sombre qu’elle dut plisser les yeux pour tenter de percevoir quelque
chose. Elle distingua à sa droite une porte donnant sur un salon et à
sa gauche une autre donnant sur la cuisine. Elle voulut aller dans la
seconde pièce mais s’en empêcha. Il fallait d’abords qu’elle trouve
l’occupant pour lui demander la permission. Comme aucune lumière ne lui
parvenait, elle se dirigea vers le grand escalier qui lui faisait face.
Elle gravit péniblement les hautes marches et un point de côté se mit à
lui broyer consciencieusement les côtes. Le souffle court, elle
atteignit enfin le perron. Un long couloir l’accueillit tout aussi
obscure que le rez-de-chaussée. Il n’y avait pas plus de signe de vie
qu’en bas mais l’escalier la découragea d’y retourner pour vérifier.
Chez elle, le premier étage, ne contenait qu’une salle de bain et des
chambres. Aussi, sur les quatre portes qu’elle voyait une seule était
entrouverte. En s’approchant, elle vit enfin de la lumière et du
carrelage. Sûrement la salle de bain. Elle toqua doucement. Comme
aucune réponse ne lui parvint, elle entrouvrit la porte et glissa sa
petite tête. Elle se fit violence pour retenir un hurlement. Ses jambes
se mirent à trembler, ses genoux s’entrechoquèrent, ses mains devinrent
moites, ses yeux se remplirent de larmes qui virent couler sur ses
joues, mais elle ne put… elle ne put détacher son regard de la pièce,
de la baignoire. Cette dernière était en fer forgé et se terminait en
quatre pieds de lorme d’une patte de lion. Elle était remplie à ras
bord. En ce mettant, sur la pointe des pieds, la petite fille vit une
silhouette à l’allure féminine qui reposait au fond. Et malgré la
présence de la jeune femme, aucune vibration, aucune bulle ne venait
briser l’aspect lisse de l’eau. La respiration de l’enfant commençait à
devenir plus régulière quand soudain, cinq taches blanches apparurent
sur le bord de la baignoire. Les tâches grandirent, s’étirèrent,
s’allongèrent. Enfin les cinq tâches devinrent cinq doigts qui
épousèrent la forme du pourtour. Le tout avec une lenteur abominable.
Enfin les doigts dont on pouvait déjà voir toutes les phalanges, se
crispèrent faisant ressortir veines et vaisseaux sanguins. Les doigts
appuyèrent sur la baignoire et deux seins apparurent de sous la surface
de l’eau. D’un blanc cassé ils auraient pus être beaux si
d’innombrables striures rougeâtres pour certaines, roses pour d’autres
ne venaient pas gâcher leurs grains si fins et si délicats. Même les
tétons, pourtant d’un beau marron, auraient pus être agréable à
regarder si la plus grosse des cicatrices ne barrait celui de droite.
Une cicatrice d’un rouge vif, unique vestige d’une crevasse faite par
le froid. La petite fille se figea définitivement. Tous son être lui
criait de partir mais plus un seul de ses membres n’acceptaient de lui
répondre, la rendant victime de son propre corps. Les seins flasques
semblaient être trop lourd pour le buste et gênaient son ascension. Le
buste ressemblait à une suite de collines ou la peau s’infiltrait entre
chaque creux qui séparaient chaque côte. L’épiderme qui couvrait la
peau semblait vouloir s’enfoncer au plus profond de ce corps, les
hanches faisait figure de deux pics pointant vers le ciel. Ils
semblaient détacher du corps tant ils montaient haut. Sa cage
thoracique se dessinait avec une telle précision que l’on pouvait y
voir l’incroyable complexité du squelette humain. Des épaules émaciées
et chétives firent leurs apparitions. L’agencement entre la clavicule
et l’omoplate étaient si marqué que l’on pouvait presque deviné
l’endroit exacte ou ils se rejoignaient. Les bras n’étaient plus des
bras. La maigreur était si saisissante qu’ils ne ressemblait cas deux
bâtons irréguliers et tordus fixés aux épaules. Les poignets étaient
ornés de deux boules repoussantes. Enfin la nuque apparut. Incapable de
retenir la tête qui pendait lamentablement en arrière. La trachée si
tendue, si allongée devenait la seule preuve du lien qui unissait le
crâne au reste du corps. Le visage. Creusé, décharnée et difforme à
l’instar du corps. Les yeux étaient fermés, recouvertes par des
paupières meurtries quasiment dépourvut de cils. Les lèvres inférieures
et supérieures, irrités et infectées ne se touchaient pas. La bouche
entre ouverte laissait échapper un torrent d’eau ainsi d’un filet de
sang permettant de deviner une infection de la langue dût à la boule
d’argent que l’on pouvait apercevoir au fond de l’antre buccale. Des
cheveux d’un brun terne, emmêlés, gras, effilés, pendaient du crâne aux
épaules telle des cordes. Prise d’un soubresaut, le cadavre ramena sa
tête contre sa poitrine. La face décharnée de la femme vint
pitoyablement rebondir de quelques centimètres pour revenir se heurter
à nouveau contre le sternum tel un ballon qu’un gamin aurait laissé
tombé puis oublié. Les mains se détachèrent de la baignoire pour
plonger dans l’eau. L’inconnue continuait de garder ses yeux fermés. On
entendit le bruit d’une chainette et enfin un son guttural, semblable à
celui d’une aspiration ou d’un écoulement. Les mains ressortirent
tenant, toutes les deux, le bouchon. Le cadavre le plaqua contre lui et
ramena ses genoux contre son buste. Le niveau de l’eau baissait
lentement, laissant à percevoir des jambes frêles, un entre-jambe
stérile, et des fesses inexistantes. Un ramassis d’os. Quand les
dernières gouttes pénétrèrent dans le siphon, elle ouvrit les yeux. La
petite sursauta violemment sortant enfin de sa léthargie. L’inconnue
tourna vers elle, un regard d’un émeraude lumineux. Ses yeux était la
seule chose que semblait avoir échapper à la pourriture, la maladie, la
maigreur, la laideur, qui avait petit à petit grignoter cette
silhouette. L’humaine ouvrit un peu plus la bouche et poussa un râle
jusqu’à se que ses cordes vocales réapprirent à produire un son. Tu as froid ?
L’enfant ne répondit pas. Bien que terrifiée, elle ne voulait pas
partir. Ce corps et la folie qui semblait s’en émaner l’obsédait. La
femme se mit debout. Elle s’accrochait à tous ce qu’elle put alors
qu’elle sortait péniblement du bain. Des gels douche tombèrent, des
serviettes glissèrent, la tablette d’une étagère se détacha entrainant
ses sœurs et les multitudes de tubes oranges aux étiquettes toutes
différentes qui l’ornaient. Malgré le vacarme, aucun des deux êtres
présents dans la pièce ne s’en formalisèrent. L’enfant était bien trop
obsédé par les os saillants, les creux, les bosses, les lambeaux de
chair, les cicatrices qui formaient ce corps pour avoir peur. La femme
enfila un peignoir surement plus lourd qu’elle, avec difficultés,
luttant contre son manque de coordination. Puis elle s’habilla d’une
culotte de coton blanc trop grande pour elle tant est si bien que l’on
ne voyait pas de différence entre l’avant et l’arrière. Et c’est la
robe de chambre ouverte, les seins ballants, qu’elle s’approcha de la
fillette. Sans un mot, la bouche toujours ouverte, la respiration
bruyante, qu’elle lui retira sa robe et lui tendis une robe de chambre
rose pastel. L’enfant l’enfila. Elle était à sa taille bien qu’elle dut
retrousser ses manches. La femme lui tendit une main décharnée que la
fillette refusa d’un signe de tête. Je ne veux pas te toucher.
L’autre ne réagit pas et sortie. Elle se dirigea dans l’escalier et
descendu une à une les marches obligé de faire de longue pause entre
chaque. La fille resta derrière elle, attendant patiemment que l’adulte
se remette de ses efforts. Une fois en bas, elles pénétrèrent dans la
cuisine. L’enfant pris place sur l’un des tabourets et un bras posé sur
le plan de travail, elle regarda la femme poussée vers elle le couteau
rouillé et le pain rassit qui était à sa droite. Elle se dirigea vers
le frigo, l’ouvrit et fit tomber à terre, une barquette de beurre.
L’ignorant, elle se tourna vers la petite fille. Cette dernière
comprit, elle sauta du tabouret pour venir la ramasser. Puis elle prit
d’elle-même la bouteille de lait, suivie le mouvement de tête de
l’adulte et attrapa deux bols en porcelaine blanche. Elle y versa le
liquide blanc puis s’empara de la baguette qu’elle coupa en deux dans
le sens de la longueur. Elle se tartina une première moitié avec
entrain. Alors qu’elle s’attaquait à la deuxième, la jeune femme
chuchota. Non. Sans l’écouter, elle termina son travail et le
lui tendit. Longuement, la femme fixa le pain. Elle tendit sa main et
s’en empara. La fillette attendit que cette dernière trempe son pain
dans son lait avant de commencer elle-même son gouter. Le repas se fit
dans un profond silence que seuls les bruits de mastications brisaient.
Puis, quand le pain eut disparut et les bols a nouveaux vides, l’enfant
regarda l’adulte, attrapa sa robe qu’elle avait posée sur la chaise,
enfila le vêtement humide, sortie de la pièce et quitta cette bâtisse
sombre et sans lumière. Alors qu’elle tirait le portail, elle entendit
le bruit d’un robinet et enfin le bruit de l’eau chutant sur une
surface dure. Elle prenait un bain. L’enfant eut un sourire et dit
d’une voix forte. Je reviendrais demain. Personne ne lui répondit. La petite fille prit ça pour un oui.
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